4 questions
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Marvin Merkel

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Marvin Merkel, on peut parler de « question » suisse quand on regarde vos photos. Si on pose une question, c’est qu’il y a une réponse… alors est-ce que, comme Ben, on se dit que « la Suisse n’existe pas ». Ou est-ce que vous avez trouvé des pistes qui permettent de mieux approcher l’identité suisse ?
L’un des premiers objectifs de ce travail était de découvrir cette identité suisse, de pouvoir enfin la cerner et dire : « Voilà, c’est ça être Suisse. » Ça n’a pas pris longtemps. L’identité suisse est omniprésente, impossible de lui échapper. Du moins, celle qu’on nous vend. Elle est tellement bien instrumentalisée que je la retrouve partout. Notre héros national est devenu l’ambassadeur d’une marque de bière cheap, le Cervin recouvre les murs des toilettes du train, et l’edelweiss se vend à 5,50 CHF dans un pot en plastique chez Landi.
Les éléments, symboles et coutumes qui constituent l’identité helvétique ont été tellement instrumentalisés qu’ils semblent déconnectés de leurs origines. Nos symboles sont devenus la contrefaçon d’eux-mêmes. Ont-ils vraiment existé un jour, ou étaient-ils simplement une construction pour unir la population, imposer un modèle et « cacher la merde au chat » ? Prenons l’exemple du réduit national pendant la Seconde Guerre mondiale, ou encore du chocolat au lait : le mythe des Alpes a permis de cacher l’or nazi stocké dans les banques et de faire du chocolat issu des colonies un produit 100 % suisse. Nos majestueuses Alpes sont sales, et Guillaume Tell est un con. La Suisse n’existe pas, ou du moins, je ne veux pas qu’elle existe.
Pourtant, la fascination persiste. Cette identité suisse que j’ai envie de critiquer me colle à la peau, car j’aime la Suisse. J’aime ses symboles, ses coutumes et ses traditions. Mon projet a dû prendre une autre tournure. Plutôt que de chercher une identité suisse qui n’existe pas et qui semble impossible à trouver, je vais créer ma propre identité suisse. Elle sera décalée et fera rire, avec des avions de chasse en carton, des Rolex en cervelas, et Guillaume Tell en influenceur. Elle rendra hommage tout en critiquant, et sera comme notre Suisse : magnifique et moche.
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Vous interrogez l’identité helvétique avec humour, mais aussi avec un certain courage : vous vous mettez en scène dans des positions parfois… inconfortables, sans avoir peur du ridicule. C’est aussi votre identité personnelle qui est questionnée ? C’est aussi ce que dit le titre de l’exposition « GET SWISS OR DIE TRYING » ?
L’humour et l’autodérision ont toujours fait partie de ma personne. Ils sont omniprésents dans mon travail artistique et me permettent, couplés à mon appareil photo de me sentir presque intouchable du monde extérieur. Je n’ai ainsi plus peur de me sentir ridicule dans mes images, j’essaie même de m’en rapprocher le plus possible. Faire ces autos portraites dans ma cave, seul avec mon appareil et mes fonds imprimés m’a permis non seulement d’échapper à ce sentiment de ridicule mais aussi à m’attaquer à des questions qui à priori me dépasse. Sans cette pseudo protection je ne me serais pas senti légitime d’interroger un sujet si vaste que l’identité nationale, encore moins à le tourner en dérision.
Ne possédant ni passeport suisse, ni famille ou racines ici, je me suis longtemps perçu comme un étranger dans ce pays. Mais à travers ce projet, j’ai pris conscience de l’ambivalence que je ressens vis-à-vis de la Suisse : tiraillé entre l’amour pour ce pays et la nécessité de le remettre en question. Ce tiraillement m’accompagne depuis le début et est toujours présent aujourd’hui.
Le titre « GET SWISS OR DIE TRYING » décrit la frénésie avec laquelle j’ai essayé de me rapprocher de cet idéal suisse. Idéal qui s’est avéré impossible à atteindre.
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Vous avez étudié la photographie à l’ECAL, l’école cantonale d’art de Lausanne. Votre travail a-t-il été inspiré par l’enseignement que vous y avez reçu ? Une photographie plutôt brute, proche du documentaire ou de l’enquête…
Les quatre ans d’études à l’ECAL m’ont permis d’acquérir un important bagage technique que j’ai utilisé dans de nombreux projets. Pourtant, j’ai dû désapprendre ce savoir pour fusionner les rôles de photographe et de sujet plus aisément. Cette approche plus brute, moins méticuleuse, me permet de ne pas me laisser freiner par les détails techniques ou logistiques. Avec une petite imprimante et deux pinces, je deviens Guillaume Tell ; avec un peu de peinture verte sur les poils de mon torse, je deviens un pâturage. Les images n’ont donc rien à cacher et se rapprochent même de la sculpture.
Cependant, l’approche théorique derrière ces images, la manière d’aborder les sujets, ainsi que l’accrochage final, ont bel et bien été influencés par mes études. De plus, mon travail de mémoire, qui explore l’influence du paysage alpin dans la création de l’identité nationale suisse, a fourni une base théorique précieuse pour ce projet.
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Voulez allez réunir vos photographies sur la Suisse dans un livre. Pour l’instant, nous co-éditons à la Vetrina un fanzine avec Ferox Books. Est-ce que vos photos racontent une histoire qui se lit comme un roman-photo, avec un début et une fin ?
Ce fanzine est une série d’images qui ont toutes pour point commun la célèbre saucisse suisse, le cervelas. À travers ces photos, différents récits typiquement suisses seront racontés, plongeant le lecteur dans un univers absurde mêlant suissitude et saucisse. Je n’en dirai pas plus !
Par la suite, j’ai l’intention de créer un livre photo d’une plus grande ampleur, qui rassemblera un large corpus de mes images. Ce projet n’en est encore qu’au stade de réflexion, mais je l’imagine comme une sorte de traduction de mon exposition vers un nouveau médium.