Lisa Mazenauer est l’une des 18 photographes invité.e.s cette année au festival Alt+1000 (plus1000.ch) qui s’installe à 1’283 mètres d’altitude du 13 septembre au 5 octobre 2025 à la Vue-des-Alpes, Neuchâtel, Suisse.
Le thème de cette 8ème édition du festival international de photographie en plein-air Camminare insieme – marcher ensemble, incite à une réflexion collective sur le paysage grâce aux plus de 140 œuvres qui jalonnent le parcours sur la crête de la montagne, avec un panoroma à couper le souffle sur les Alpes et le lac de Neuchâtel.
Dans la vitrine de la Vetrina, vous pouvez découvrir une des artistes exposées, Lisa Mazenauer (*1996) qui vit et travaille à Bâle en Suisse. Elle s’est formée notamment à l’ECAL (Lausanne) avec un projet de diplôme Copper Tales et un mémoire intitulé « Relations extractivistes, en quête d’images».
4 questions a
Lisa Mazenauer

1
Le titre du travail présenté à Venise à la Vetrina, et ensuite dès le mois de septembre en Suisse au festival Alt+1000, se présente comme une sorte d’équation mystérieuse. « Six Gold Mines for a Swiss », 6 contre 1, 1 contre 6, tous contre 1, expliquez-nous…
Le titre de l’exposition, Six Gold Mines for a Swiss, fait référence à un article de journal publié en 1982 à propos de mon grand-père, qui préparait l’exploitation de six mines d’or dans l’ex-Zaïre, l’actuelle RDC, en lien avec Mobutu Sese Seko (qui entretenait par ailleurs des relations étroites avec la Suisse). En découvrant cet article il y a cinq ans, j’ai d’abord été surprise par cette histoire concernant mon grand-père que je n’ai jamais connu, puis marquée par la forme de sa mise en récit. Le texte dresse un portrait spectaculaire et héroïque de mon grand-père, conforme à la perception qu’on pouvait en avoir en Suisse à cette époque.
En 2025, la lecture de cet article me paraît grinçante, presque ironique : la perspective sur les faits a radicalement changé. Lorsque j’ai contacté la journaliste, elle ne gardait que de vagues souvenirs de mon grand-père mais elle a précisé qu’elle ne pourrait pas écrire l’article de cette manière aujourd’hui.
Le titre «6 pour 1» c’est le déséquilibre: six mines d’or pour le profit d’un seul, reflet des rapports inégalitaires entre pays investisseurs et territoires d’extraction, conséquences des colonisations et de leurs héritages.
Dans ce projet, je réfléchis à un récit et à ses traces mouvantes. Je questionne ces dynamiques mais je ne cherche pas à désigner des coupables. Je refuse un regard manichéen. Je fais d’ailleurs moi-même partie du système extractiviste, et de manière très directe à travers l’usage de la photographie, un médium profondément dépendant des minerais.
2
Participer à un festival de photographies en plein-air implique une réflexion différente pour l’artiste que vous êtes ? Sans trop en dévoiler, est-ce que votre travail sera exposé d’une manière particulière, davantage comme une installation ?
Ce travail a été pensé en rapport direct avec l’image d’Épinal de la Suisse, largement associée aux Alpes. Si l’on pouvait voir à travers ces montagnes, on y découvrirait aussi les lingots d’or conservés dans des bunkers, puis, un peu plus loin, les raffineries qui affinent une grande partie de l’or mondial.
Les moulages des négatifs des mines à ciel ouvert en RDC entrent alors en résonance directe avec les montagnes perçues depuis la Vue-des-Alpes. Des mouvements s’opèrent: certains paysages se vident, d’autres se remplissent. Ces moulages sont comme des anti-montagnes, des formes inverses qui interrogent notre perception de ces lieux. C’est précisément cette tension entre présence et absence que j’explore dans cette exposition en plein air.
Et peut-être ce qui rend cette installation encore plus spéciale pour moi, c’est de montrer ce projet à quinze minutes du village où j’ai grandi. La boucle est bouclée.
3
Photographie rime pour vous avec écologie ? Votre motivation artistique est aussi politique, ou avant tout politique ?
Pour moi, photographie rime avec écologie, amnésie, anatomie, archéologie, bactérie, bruits, cartographie, chimie, chronologie, colonies, construit, cosmogonies, cosmologie, cri, dit, dramaturgie, empathie, entropie, ethnologie, esprits, généalogie, géographie, géologie, hégémonie, hystérie, ici, industrie, lie, manuscrit, mélodie, métonymie, minéralogie, nuit, ornithologie, oubli, ouïe, outil, paléontologie, paradis, puis, sémiologie, sociologie, sorcellerie, superficie, symphonie, topographie, transmis, tromperie, vie, vit, vis
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La mémoire du paysage, la trace, les signes de l’activité humaine, on les perçoit dans vos images. Est-ce que vous voyez la photographie comme un témoignage, une matière à penser pour les historiens?
Je considère plutôt l’histoire, et sa construction, comme une matière à penser pour ma pratique artistique. Les images participent à la fabrication d’une histoire hégémonique, un grand récit qui fait sens pour un groupe de personnes à un moment donné. Il ne reste plus qu’à imaginer les photographies qui nous manquent : les oubliées, les disparues et celles qui n’ont jamais existé. J’apprécie particulièrement la proposition d’Ariella Aïsha Azoulay qui avance que les origines de la photographie remontent à 1492 et non pas à 1839, date souvent reconnue comme marquant le début de l’histoire de la photographie. Comment penser depuis les lacunes? Qui écrit ou raconte quelle histoire, pour et avec qui? Ces questions traversent et nourrissent ma pratique.